9.

 

— Voici l’histoire de mes deux maîtres et de ce qu’ils m’ont enseigné. Elle sera brève – j’ai hâte d’arriver au présent, mais je veux que vous la connaissiez et que vous l’écririez.

Zurvan s’annonça à moi de manière théâtrale. Comme je vous l’ai raconté, j’étais entré dans les ossements. Je flottais dans la nuit et le sommeil. Il y avait en moi quelque chose de conscient, mais je ne saurais l’exprimer de vive voix. Peut-être suis-je dans mon sommeil comme une tablette sur laquelle s’inscrit l’histoire. Cette image est cependant trop concrète.

Je dormais sans peur ni souffrance, je ne me sentais pas pris au piège. J’ignorais ce que j’étais. Puis Zurvan m’appela.

— Azriel, Serviteur des Ossements, viens à moi ! Vole vers moi de toute ta force, mais demeure invisible, ne transporte que ton tzelem.

Je me sentis aspiré dans le ciel. Je volai vers la voix qui m’avait appelé. L’air était encombré d’esprits, et je passais entre eux avec une grande détermination, m’efforçant de ne pas les blesser. J’étais profondément troublé par leurs cris et leurs visages désespérés.

Certains de ces esprits tentèrent de m’arrêter. Mais j’avais des ordres, et je les écartai avec une force surprenante, ce qui m’amusa beaucoup.

Lorsque je vis Milet au-dessous de moi, il était midi ; les esprits s’effacèrent comme j’approchais du sol. Milet trônait sur sa péninsule ; c’était la première cité coloniale ionienne ou grecque que je voyais. Elle était belle et vaste, avec de merveilleux espaces ouverts, des colonnades et toute la perfection de l’art grec. L’agora, la palestre, les temples, l’amphithéâtre ressemblaient à une main prête à saisir la brise de l’été.

La mer était couverte de navires de commerce grecs, phéniciens et égyptiens, le port grouillait de marchands et de longues files d’esclaves enchaînés.

Plus je descendais et plus j’en saisissais la beauté ; une ville de marbre, somptueuse, blanche, lumineuse, qui n’avait nul besoin de se barricader contre les vents du désert. Quel spectacle ! Les gens déambulaient dans les rues, y discutaient, s’y retrouvaient, parlaient des affaires du jour. La chaleur n’y était pas insupportable, et les sables du désert ne s’y engouffraient pas.

J’entrai dans la maison de Zurvan, et le trouvai assis à son bureau, une lettre à la main.

Il était perse, le cheveu et la barbe noirs, bien que largement mêlés de gris. Il était dans la force de l’âge avec de grands yeux bleus qu’il leva vers moi, percevant parfaitement ma forme invisible. Il me dit :

— Fais-toi homme de chair ! Fais-le tout de suite.

J’obéis car je tirais grande fierté de pouvoir me donner un corps. Je m’en constituai un en quelques secondes. Zurvan se renfonça dans son fauteuil, ravi, un genou passé par-dessus l’autre, les yeux fixés sur moi. Je devais sans doute ressembler à ce que je suis maintenant.

Je me rappelle à quel point j’étais surpris par cette ravissante maison grecque, avec ses portes ouvertes sur la cour, ses peintures murales représentant de beaux Grecs élancés, en vêtements fluides. Je décelai dans le dessin de leurs grands yeux l’influence égyptienne, mais pour le reste, ils étaient indéniablement ioniens.

Il posa le pied par terre, puis se leva. Il était vêtu d’une toge grecque, plus ample, sans manches, et avait des sandales aux pieds. Il m’examina sans crainte, comme mon père aurait examiné un objet d’argent ciselé.

— Esprit, où sont tes ongles ? Où est ta barbe ? Où sont tes cils ? Vite ! Tu n’as qu’à dire : « Apportez-moi tous ces détails dont j’ai besoin à l’instant même », et rien de plus. Fixe une image, et tu as fini ton travail.

Il applaudit.

— Maintenant, tu es suffisamment complet pour ce que tu as à faire. Assieds-toi là. Je veux te voir bouger, marcher, parler, lever les bras. Allons, assieds-toi.

Je m’installai sur un siège grec, gracieux, avec des bras hauts et sans dossier. Autour de moi, la lumière paraissait différente, glorieuse ; dehors, les nuages s’amoncelaient plus haut. L’air était plus transparent.

— C’est parce que tu es au bord de la mer, dit-il. Sens-tu l’eau dans l’air, esprit ? L’eau te sera toujours d’une grande aide. Les ombres écervelées des morts et les démons aiment les lieux humides, ils ont besoin de l’eau, du bruit de l’eau, de son odeur, de cette fraîcheur qui s’insinue en eux.

Il fit les cent pas dans la pièce. Je restai assis là, arrogant, sans le moindre respect. Il semblait n’y attacher aucune importance.

Un long vêtement perse ou babylonien eût été plus flatteur sur ses vieilles jambes maigres. Mais il faisait trop chaud.

Je laissai errer mon regard. J’admirais le sol en mosaïque. Nos sols, là-bas, étaient aussi colorés et aussi bien faits, mais au lieu de représenter des rosettes ou des silhouettes en procession rigide, celui-ci vibrait de danseuses en mouvement et de grosses grappes de raisin. Le pourtour était une mosaïque de marbre aux motifs fluides et joyeux. Je songeai aux vases grecs qui m’étaient passés entre les mains, sur le marché, et dont j’avais aimé le gracieux travail. Les peintures murales étaient également charmantes et vives, j’y retrouvais les répétitions de bandes de couleur qui me ravissaient les yeux.

Il s’arrêta au milieu de la pièce.

— Tu aimes le beau, n’est-ce pas ? Je ne répondis pas. Il reprit : Parle, je veux entendre ta voix.

— Que dirai-je ? répliquai-je sans me lever. Ce que je veux ou ce que tu exigeras de moi ? Ce que recèlent mes vraies pensées ou quelque sottise servile… puisque je suis ton ombre-esclave !

Je me tus, perdant toute confiance en moi. Je me rendis compte que je ne savais pas pourquoi je prononçais ces mots. Je m’efforçai de m’en souvenir. J’avais été envoyé à cet homme, ce grand magicien, réputé maître dans son art. J’étais un serviteur. Qui m’avait fait tel ?

— Tes inquiétudes absurdes risquent de te dissoudre. Rassure-toi : tu parles bien, clairement, et tu penses. Tu es extrêmement puissant. Tu es un ange de puissance des plus remarquables et rien de ce que j’ai pu faire apparaître n’a jamais possédé ta force.

— Qui m’a envoyé ? demandai-je. C’était un roi. Mais mon esprit s’embrouille et l’ignorance de mon passé m’est une agonie.

— C’est le piège des esprits, ce qui les affaiblit. Le trébuchement fourni par Dieu, pourrait-on dire, afin qu’ils n’acquièrent jamais une force suffisante pour anéantir les hommes. Réfléchis ! Force-toi à trouver une réponse. Tu vas te remémorer certains événements, tu vas commencer à faire attention. D’abord, chasse cette rage en toi : je ne suis pas de ceux qui t’ont fait du mal et qui t’ont tué. Je soupçonne, d’ailleurs, qu’il y a eu, dans cette affaire quantité de machinations qu’un esprit plus faible que toi n’aurait jamais surmontées. Toi, tu les as surmontées. Et l’homme qui t’a envoyé ? Il a exaucé ta supplique, souviens-toi. Il t’a obéi.

— Ah, oui. Le roi Cyrus. Il m’a bien envoyé à Milet, comme je l’en priais. Mon passé me revenait de plus en plus clairement alors que je tentais d’évacuer ma colère comme de l’air contenu dans mes poumons. Je sentais même mes poumons. Je me sentais respirer.

— Ne perds pas ton temps à cela, ordonna Zurvan. Te rappelles-tu les questions que je t’ai posées ? Tes ongles ? Tes cils ? Des détails visibles. Tu n’as pas besoin d’organes internes. Ton esprit remplit l’enveloppe parfaite que tu es et que nul ne peut distinguer d’un homme véritable. Ne gâche pas tes forces à te fabriquer un cœur, du sang ou des poumons, juste pour te sentir humain. C’est stupide et inutile.

Tu n’auras besoin de laisser couler un peu de sang de ton corps qu’en de rares occasions. Ne vas pas pleurer sur ta forme humaine. Tu es mieux maintenant !

— Vraiment ? répondis-je, toujours affalé sur mon siège, une jambe largement croisée sur l’autre, tandis que le vieux sage supportait mon arrogance. Suis-je bon, ou suis-je voué à être malfaisant ? Tu as parlé d’ange de puissance. J’ai entendu le roi employer ces mots. Mais il a aussi évoqué le démon.

Il se tenait au milieu de la pièce, se balançant légèrement sur lui-même, et il m’étudiait, les yeux mi-clos, le visage fermé.

— Je soupçonne que tu seras ce que tu voudras, même si certains essaieront de te modeler à leur gré répondit-il. Tu as tellement de haine en toi, Azriel.

— Tu as raison. Je vois un chaudron bouillant, et j’éprouve de la terreur, puis de la haine.

— Plus personne ne pourra te faire autant de mal. Jamais. Souviens-toi, tu t’es élevé au-dessus du chaudron, n’est-ce pas ? Tu as senti l’or brûlant !

Parcouru de tremblements, je m’abandonnai aux larmes. Aujourd’hui encore je supporte mal d’en parler, et il m’était impossible d’évoquer ce souvenir avec lui.

— Je l’ai senti un instant, dis-je. Un instant j’ai compris ce que cela signifierait d’y être plongé et de mourir dans une telle souffrance. J’ai senti l’or transpercer la carapace qui me recouvrait comme une armure épaisse. Là où j’ai eu le plus mal… c’est aux yeux.

— Je comprends… Eh bien, tes yeux vont très bien, maintenant. J’ai besoin de la tablette cananéenne qui t’a créé tel que tu es. J’ai besoin des ossements.

— Tu ne les as pas en ta possession ?

— Par l’enfer, non ! Une bande de brigands les a volés dans le désert. Ils se sont jetés sur les hommes de Cyrus, les ont tués pour s’emparer de leur or et ont emporté le coffret, croyant que les ossements étaient en or massif. Un seul Perse a survécu, et a pu atteindre le village le plus proche. Des messages ont été envoyés. Maintenant, tu dois récupérer les os et la tablette et me les rapporter.

— Je peux le faire ?

— Bien sûr. Tu es venu quand je t’ai appelé. Retourne d’où tu viens. Vois-tu, mon fils, c’est le secret de la magie. Sois précis. Dis : « Je souhaite retourner à l’endroit même d’où je viens. » Ainsi, si les brigands ont parcouru dix lieues depuis l’endroit où tu étais quand tu as entendu mon appel, tu les rattraperas. En arrivant là-bas, garde ton aspect corporel et tue ces voleurs, si tu peux. Si tu n’es pas assez fort, s’ils te combattent avec des armes matérielles qui te menacent, ou s’ils te jettent des sorts qui t’effraient – je t’avertis qu’il n’existe pas un seul charme au monde qui doive effrayer le Serviteur des Ossements – alors deviens invisible. Mais rassemble ces objets en toi, laisse le vent les coller à toi, et rapporte-les-moi. Je m’occuperai plus tard de ces voleurs. Va, et rapporte-moi les ossements.

— Préfères-tu que je les tue ?

— Des brigands du désert ? Oui, tue-les tous, avec leurs propres armes. Ne te fatigue pas à utiliser la magie, tu gaspillerais tes forces. Empare-toi de leurs épées, et tranche-leur la tête. Tu apercevras un instant leurs esprits, alors hurle pour les épouvanter. Crois-moi, tu n’auras aucune difficulté… Cela calmera peut-être ta souffrance. Vas-y ! Rapporte-moi les ossements et la tablette. Vite.

Je me levai.

— Dois-je te répéter ce qu’il faut dire ? insista-t-il. Demande à être ramené là d’où tu viens, et que tous les éléments de ton corps actuel attendent que tu les rappelles pour t’envelopper, te rendre à nouveau visible et fort quand tu auras rejoint les ossements. Tu seras enchanté. Hâte-toi. Je te laisse jusqu’au dîner. À ton retour, je serai à table.

— Peut-il m’arriver quelque chose ?

— Tu peux prendre peur et manquer ton coup, dit-il en haussant les épaules. Auquel cas je me moquerai de toi.

— Se peut-il qu’ils aient des esprits puissants ?

— Des brigands du désert, jamais ! Tu vas bien t’amuser ! Oh, j’oubliais de te dire : lors de ton retour, deviens invisible. Tiens le coffret bien serré dans ton corps spirituel, comme un vent qui l’envelopperait. Je ne veux pas te voir revenir dans un corps visible, il faut que tu apprennes à déplacer les objets. Si quelqu’un te voit, ignore-le, car tu auras disparu bien avant qu’il ne commence à comprendre ce qu’il a vu. Hâte-toi.

Je sentis un immense grondement dans mes oreilles, puis je me matérialisai, tel qu’en moi-même, dans une grossière cahute du désert, où un groupe de bédouins était réuni autour d’un feu.

Ils se levèrent d’un bond à ma vue, et tirèrent leurs épées en hurlant.

— Vous avez volé les ossements, tonnai-je. Et vous avez tué les hommes du roi.

De toute ma vie humaine, jamais je n’avais éprouvé un tel plaisir ; jamais je n’avais ressenti une telle vaillance ni une liberté aussi totale. Je crois que, de bonheur, je grinçais des dents. Je saisis l’arme de l’un d’eux et les passai tous au fil de l’épée, tranchant les mains qui cherchaient à se défendre, coupant des têtes et dispersant les membres à coups de pied. Puis je laissai tomber l’épée, contemplai le feu, entrai dans les flammes, et en sortis. Ce corps, ou cette apparence humaine, n’éprouvait aucune douleur ! Je poussai un rugissement qui dut s’entendre jusqu’en enfer. Une joie hystérique m’envahit.

L’endroit puait le sang et la sueur. L’un des brigands râlait, puis il s’immobilisa. La porte de la cahute s’ouvrit et deux bédouins armés se jetèrent sur moi. J’en empoignai un, auquel j’arrachai la tête. L’autre tomba à genoux, mais je le tuai tout aussi facilement. J’entendais au-dehors des cris, et les mugissements des chameaux.

La pièce était maintenant vide d’êtres vivants. Sous de grossières couvertures de laine, je découvris le coffret de mes ossements. Je regardai à l’intérieur. Le chagrin m’envahit, rompant le charme de ma joyeuse tuerie. Je soupirai en songeant : Eh bien, tu savais pourtant que tu étais mort, non ? Il y avait là bien d’autres trésors, par sacs entiers.

Je les rassemblai dans la couverture, la serrai dans mes bras, et déclarai : « Quittez-moi, particules de ce corps. Permettez-moi d’être invisible, rapide et fort comme le vent, et gardez ces précieux objets en sécurité dans mes bras. Emmenez-moi à Milet auprès de mon maître qui m’a envoyé. »

Le grand trésor était comme une ancre, ce qui ralentit mon voyage mais le rendit délicieux. J’éprouvai un plaisir exquis à m’élever jusque dans les nuages, puis à redescendre au-dessus de la mer scintillante. Cette beauté m’éblouit tant que je faillis tout laisser tomber, mais je me ressaisis aussitôt et m’admonestai : « Retourne tout de suite auprès de Zurvan, idiot ! C’est lui qui t’a envoyé. »

J’atterris dans le jardin, au crépuscule. Le ciel était éclairé d’une somptueuse lumière aux couleurs très fraîches, qui teintaient les nuages. J’existais, dans mon enveloppe corporelle visible, par la seule force de ma volonté, et j’étais en possession du trésor et du coffret, brisé par mon atterrissage brutal, ainsi que d’une autre boîte ouverte contenant des lettres.

Mon nouveau maître accourut aussitôt, et ramassa les lettres.

— Ces misérables vauriens, tout cela m’était adressé par Cyrus ! J’espère que tu les as tués !

— Avec beaucoup de plaisir.

Il me chargea les bras de quelques sacs qui contenaient apparemment des bijoux, du moins j’en avais l’impression, et jeta par terre la couverture.

À ma vive surprise, la couverture s’envola, comme portée par un courant d’air ; elle voleta par-dessus le mur, vrillée par la brise, et disparut.

— Un pauvre malheureux la trouvera et en fera quelque chose, dit Zurvan. Pense toujours aux pauvres et aux affamés, quand tu jettes quelque chose.

— Te soucies-tu vraiment des pauvres et des affamés ? demandai-je.

Nous retournâmes dans la grande salle, qu’éclairaient à présent de nombreuses lampes à huile. Je remarquai pour la première fois des rayonnages couverts de tablettes et de frêles étagères en bois pour les rouleaux, que préféraient les Grecs.

Il posa par terre le coffret brisé et l’ouvrit. Les os s’y trouvaient bien. Il posa les lettres et les sacs de bijoux sur sa table, s’assit, et commença aussitôt à lire, vite, appuyé sur ses deux coudes, en tendant de temps à autre la main pour prendre un peu de raisin sur un plat d’argent. Il ouvrit les sacs, déversa de grandes poignées de bijoux emmêlés, qui me parurent égyptiens pour la plupart et grecs pour le reste, puis il reprit sa lecture.

— Ah ! s’exclama-t-il. Voici la tablette cananéenne avec l’inscription qui t’a créé. Elle est en quatre morceaux, mais je saurai la reconstituer.

En effet, il restaura l’intégralité de la tablette.

Je pense que j’en fus soulagé : je l’avais oubliée. Elle n’était pas dans le coffret. Elle était petite et épaisse, couverte d’une écriture cunéiforme, et semblait parfaite, comme si elle n’avait jamais été cassée.

Il leva soudain les yeux, et déclara :

— Ne reste pas là à ne rien faire. Nous avons du travail, regarde. Dispose les os de manière à reconstituer un squelette d’homme.

— Non ! Ma fureur était si brûlante que je la ressentis même dans mon enveloppe corporelle. Elle n’alla pas jusqu’à me dissoudre, mais me parcourut d’une onde de chaleur que je pouvais presque voir. Je n’y toucherai pas.

— Très bien. Comme tu veux. Assieds-toi et tais-toi. Réfléchis. Utilise l’esprit qui est dans ton esprit, et qui n’a jamais été dans ton corps.

— Si nous détruisons ces os, est-ce que je mourrai ?

— Je t’ai dit de réfléchir, pas de parler. Non, tu ne mourras pas. Tu ne peux pas mourir. Veux-tu finir en imbécile balbutiant ou en esprit gémissant dans le vent ? Tu les as vus, non ? Ou en ange hébété, courant à travers prés en cherchant à se rappeler un cantique ? Tu es sur cette terre, désormais, et tu ferais mieux d’oublier toute idée géniale consistant à te débarrasser des os. Ces os te maintiendront d’une seule pièce. Ils te procureront un refuge. Ils garderont ton esprit formé et capable d’utiliser sa force. Écoute bien ce que je te dis. Ne sois pas idiot.

— Je ne discute pas, répondis-je. As-tu fini de lire les tablettes cananéennes ?

— Tais-toi.

Avec un soupir furieux, je m’armai de patience. Je regardai mes ongles. Ils étaient splendides. Je tâtai mes cheveux, ils étaient aussi drus qu’avant. J’étais un être vivant et en bonne santé, possédant une excellente acuité mentale, parcouru d’une formidable énergie, ignorant la faim, la fatigue, l’inconfort… une statue en apparence parfaite. Je fis claquer par terre mes pieds bien chaussés. Je portais, naturellement, les tuniques brodées et les chaussures de velours que je préférais. Ces chaussures faisaient un bon petit bruit. Zurvan posa les tablettes et déclara :

— Bien, puisque tu répugnes tellement à toucher tes propres os, jeune esprit délicat et peureux, je vais faire le travail pour toi.

Il alla au milieu de la pièce, flanqua tous les os par terre, puis il recula, tendit les mains, et se baissa lentement en ployant les genoux. De sa bouche sortit une longue incantation murmurée en langue perse. Je vis quelque chose sourdre de ses mains, comme la chaleur d’un feu, peut-être, mais rien de plus visible.

À ma complète stupéfaction, les os s’assemblèrent sous la forme d’un squelette prêt à être enseveli. Puis il poursuivit ses exhortations, et, faisant le geste de fouetter, il fit paraître devant lui une immense pelote d’un lourd fil de cuivre, ou d’or, ou de je ne sais quoi ; répétant inlassablement le même mouvement, il enfila les os comme des perles. Il les reliait entre eux avec ce fil métallique, sans jamais les toucher, se contentant d’exécuter les gestes. Il s’attarda longuement sur les mains et les pieds, qui comprenaient tant de petits os. Il passa ensuite aux côtes et au pelvis, et enfin, d’un long geste de la main droite, il reconstitua la colonne vertébrale et l’attacha au crâne. Le squelette était désormais d’une seule pièce ; on aurait pu le suspendre à un crochet pour qu’il danse au vent.

Devant ce squelette étalé comme dans une tombe ouverte, je refoulai tout souvenir du chaudron, de la douleur. Pendant ce temps, Zurvan s’était précipité dans une autre pièce ; il en revint avec deux garçons d’une dizaine d’années, qui, je m’en rendis compte aussitôt, n’étaient pas réels – c’étaient des esprits corporels. Ils transportaient un autre coffret. Plus petit que le premier, rectangulaire, il sentait le cèdre et était recouvert d’or, d’argent, de pierreries. Il ouvrit le coffret, capitonné de soie. Il ordonna aux petits garçons de prendre le squelette et de le disposer comme un enfant dans le sein de sa mère : les bras repliés, la tête courbée, les genoux remontés au menton.

Les enfants obéirent. Ils se levèrent et me dévisagèrent de leurs yeux noirs d’encre. Le squelette recroquevillé entrait parfaitement dans le coffret.

— Allez-vous-en ! ordonna Zurvan aux petits. Attendez mes ordres. Les jeunes esprits ne bougèrent pas. Filez ! gronda-t-il.

Ils s’enfuirent à toutes jambes, continuant cependant à m’observer en cachette de la porte la plus éloignée.

Je me levai et m’approchai du coffret. On aurait dit, à présent, une tombe antique, découverte dans les collines, et remontant aux temps anciens où l’on enterrait ainsi les hommes, dans les entrailles de la Terre Mère. Je l’examinai. Zurvan réfléchissait.

— De la cire, s’exclama-t-il. Il me faut beaucoup de cire fondue. Il se leva et se retourna. J’en éprouvai aussitôt un choc. De la peur. Que t’arrive-t-il ? voulut-il savoir.

Ses deux serviteurs reparurent, me lançant de prudents regards en coin, chargés d’un grand seau de cire fondue. Il le leur prit des mains, et versa la cire tout autour des os. Elle durcit, fixant le squelette et constituant une niche douce et blanche. Puis il demanda aux enfants d’emporter le seau et d’aller jouer une heure dans le jardin, dans leurs corps, sans bruit. Ils furent enchantés.

— Ce sont des fantômes ? demandai-je.

— Ils n’en savent rien, répondit-il. Visiblement, la question ne l’intéressait pas. Il ferma le coffret, muni de gonds et d’une serrure solides. Il vérifia la serrure, et rouvrit le coffret. Le moment venu, dit-il, je graverai une tablette d’argent pour accompagner ces os, contenant tout ce qu’il faut savoir de la tablette cananéenne. Mais pour l’instant, les os sont tels qu’ils doivent toujours rester. Rentre en eux, et ressors.

Naturellement, je n’avais aucune envie d’obtempérer. J’éprouvais de l’aversion pour ces os, et j’étais doté d’un tempérament rebelle. Mais il insista, en maître avisé, et je cédai. Je me désintégrai dans une obscurité lisse et calme avant d’être aspiré dans un tourbillon de chaleur pour me retrouver debout à côté de Zurvan, corporel à nouveau.

— Parfait, déclara-t-il. Parfait. Maintenant, raconte-moi ce que tu te rappelles de ta vie.

Cette requête donna naissance à l’une des discussions les plus désagréables de toute mon immortelle existence. Car il avait beau me harceler, je ne me rappelais rien. Je savais que je redoutais un chaudron et la chaleur, que je craignais les abeilles, auxquelles la cire m’avait fait penser. Je me souvenais de Cyrus, roi de Perse, et de la faveur que j’avais sollicitée. Rien de plus.

Inlassablement, il exigeait que je creuse ma mémoire ; invariablement, j’échouais. Je pleurai. Je finis par le prier de me laisser tranquille. Il me dit alors, en me touchant l’épaule :

— Vois-tu, si tu ne te rappelles pas ta vie, tu ne peux pas en retenir la morale.

— Et s’il n’y en avait pas ? m’écriai-je d’une voix menaçante. Si tout ce que j’ai vu n’était que tricheries et mensonges !

— C’est impossible. Te souviens-tu de Cyrus ? Te rappelles-tu ce que tu as fait aujourd’hui ?

Je me rappelais être venu à lui, et ce qu’il avait dit. Je me souvenais d’avoir massacré les bédouins et d’y avoir pris plaisir, d’être ensuite revenu vers lui. Je me rappelai les événements qui avaient eu lieu par la suite. Il me posa quelques questions sur des points de détail : Avec quel combustible les bédouins avaient-ils allumé leur feu ? De la bouse de chameau. Y avait-il des femmes ? Non. Où était-ce ? Je dus réfléchir, car je n’avais pas pris de notes, mais le souvenir m’en revint, à sa satisfaction : à cinquante lieues de l’orée du désert, à l’est de Milet.

— Qui est roi à présent ?

— Cyrus de Perse.

Il continua à me questionner. Qui étaient les Lydiens, les Mèdes, les Ioniens ? Où se trouvait Athènes ? Qui était le pharaon ? Quelle était la cité où Cyrus avait été proclamé roi du monde ? Je répondis, inlassablement.

Il me posa des questions pratiques sur les couleurs, la nourriture, l’air, la chaleur et la fournaise. Je connaissais toutes les réponses. Je savais tout ce qui était d’ordre général, mais rien de ce qui s’appliquait à ma propre vie. Je savais beaucoup de choses sur l’argent et l’or, et je les lui expliquai – il fut impressionné. Je regardai les émeraudes que le roi lui avait envoyées, lui affirmai qu’elles étaient extrêmement précieuses, et lui révélai lesquelles avaient le plus de valeur. Je lui énumérai les noms des fleurs de son jardin. Puis je ressentis une lassitude.

Il m’arriva alors une chose curieuse. Je me mis à pleurer, comme un enfant. Je ne pouvais pas m’arrêter, et l’idée d’en être humilié m’était indifférente. Enfin, je levai les yeux vers lui et vis qu’il attendait, avec ses yeux bleus lumineux, curieux, impitoyables.

— Étais-tu sincère quand tu m’as dit de ne jamais oublier les affamés et les pauvres ? demandai-je.

— Oui. Je vais maintenant te transmettre mes connaissances les plus importantes. Écoute. Je veux que tu puisses me les répéter chaque fois que je te le demanderai. Tu les appelleras les leçons de Zurvan. Longtemps après ma mort, tu exigeras de tes maîtres qu’ils t’enseignent ce qu’ils savent, et tu le garderas en mémoire, même si c’est idiot ; et tu sauras quand c’est idiot. Tu es un esprit d’une grande intelligence.

— Très bien, maître aux yeux-bleus-lumineux, répliquai-je avec humeur. Transmets-moi ton savoir.

Il fronça les sourcils sous le sarcasme. Il réfléchit un moment, puis croisa les jambes. Il paraissait osseux sous sa tunique. Ses cheveux gris lui retombaient sur les épaules, mais il avait le visage très vif.

— Azriel, commença-t-il. Je pourrais te punir pour ton impertinence. Je pourrais t’infliger de la souffrance. Je pourrais te plonger dans le chaudron que tu redoutes, de telle manière que tu le croies réel ! Je peux le faire quand je voudrai.

— Et moi je sortirai de ce chaudron pour t’arracher les membres, magicien !

— Oui, c’est plus ou moins la raison pour laquelle je ne l’ai pas fait, admit-il. Alors laisse-moi te le dire autrement. J’exige de toi de la courtoisie, en contrepartie de mon enseignement. Je suis ton maître selon ton vœu.

— Voilà qui me paraît acceptable.

— Bien. Voici ce que je sais. Ne l’oublie jamais. Tant que tu haïras et que tu rôtiras dans un enfer de rage, tu te heurteras sans cesse à des limites. Tu seras parfois à la merci des autres esprits et des magiciens. La colère est une force négative, et la haine rend aveugle. Tu t’estropies toi-même, vois-tu. C’est pourquoi j’aimerais te discipliner pour t’en débarrasser – quoique je pense la tâche impossible.

Voici les leçons, accepte ce que ta haine et ta rage te permettront d’accepter.

Il existe un seul Dieu. Peu importe son nom – Yahvé, Ahura-Mazda, Zeus, Aton ; peu importe la manière dont on le vénère et dont on l’honore.

La vie a un but unique : témoigner de la complexité du monde et comprendre autant que possible sa beauté, ses mystères, ses énigmes. Plus tu comprendras, plus tu observeras, mieux tu apprécieras la vie et plus tu seras envahi par un sentiment de paix. Le reste n’est que jeux et divertissements. Une activité qui n’a pas sa source dans l’« amour » ou l’« apprentissage » n’a aucune valeur.

Sois bon. Toujours, si tu as le choix, sois bon. Pense aux pauvres, aux affamés, aux opprimés. Pense à ceux qui souffrent et qui sont démunis. Le plus grand pouvoir créatif que tu aies sur terre, que tu sois ange ou esprit, homme, femme ou enfant, c’est d’aider les autres… les pauvres, les affamés, les opprimés. Atténuer la souffrance et donner de la joie sont tes plus beaux pouvoirs. La bonté est un miracle de l’homme ; ainsi que des anges ou des esprits les plus développés.

Toute la magie de toutes les contrées et de toutes les écoles est la même. La magie tente de contrôler les esprits invisibles, et l’esprit au sein des vivants, ou d’invoquer des esprits des morts qui encerclent la terre. La magie n’est rien d’autre. Créer des illusions, inventer des tours, produire des richesses… se font grâce aux esprits, ces êtres incorporels qui se déplacent sans qu’on les voie pour voler, espionner, transporter. D’Éphèse à Delphes en passant par les steppes du Nord, la magie n’est que cela. Je suis un très grand magicien, et je poursuis mes recherches – une nouvelle incantation m’ouvre une nouvelle possibilité. Maintenant, écoute-moi ! Cela m’ouvre une nouvelle possibilité, mais n’augmente pas mon pouvoir. Celui-ci ne s’accroît que par la compréhension et la volonté. Il n’est nul besoin d’incantations ou de pratiques rituelles pour être un grand magicien. La plupart d’entre eux le sont de naissance, mais il arrive que des hommes le deviennent. Des incantations les forment et les orientent, mais, finalement, les mots ne comptent pas : pour Dieu, toutes les langues ne font qu’un, pour les esprits, toutes les langues ne font qu’un. Les incantations aident le magicien faible plutôt que le fort. Tu comprends pourquoi, n’est-ce pas ? Tu es très fort. Tu n’as pas besoin d’incantations. Tu l’as prouvé aujourd’hui. Ne laisse jamais personne te convaincre que, par des incantations, ils pourraient te dominer. Un magicien peut te dominer, oui, mais ne te laisse jamais duper par de simples paroles. Confronte le pouvoir si tu veux y résister. Bande tes forces et conçois ta propre incantation. Les incantations effraient humains et esprits. Conçois un chant de force pour vaincre. Un chant de puissance. Les portes s’ouvriront.

Il fit claquer ses doigts, attendit un moment, puis reprit :

— Aucun humain ne sait ce qu’il y a au-delà de la vraie mort. Les esprits approchent cette connaissance de très près ; ils voient une échelle lumineuse montant vers le ciel, ils aperçoivent les arbres fruitiers du paradis, ils parlent aux morts de diverses formes et distinguent la lumière de Dieu – oh, ils se produisent indéfiniment, ces aperçus de lumière –, mais ils ne savent pas ce qu’il y a au-delà de la vraie mort ! Personne n’en revient jamais. Les esprits condamnés à errer peuvent t’apparaître, ils peuvent te parler, mais tu ne peux pas les faire revenir de la mort. Une fois qu’ils sont morts, Dieu seul décide de leurs apparitions. Ne crois donc jamais celui qui t’affirmera connaître le Paradis. Tous les royaumes des esprits et des anges qu’il nous sera jamais donné de connaître, à toi ou à moi, appartiennent à la Terre, et non à l’au-delà de la Mort. Tu comprends ?

— Oui. Mais pourquoi aimer et apprendre ? Pourquoi est-ce la finalité de la vie ? Pourquoi s’y consacrerait-on avec une telle ardeur ?

— Quelle question stupide ! Peu importe la raison ; c’est ainsi : le but de la vie est d’aimer et d’apprendre. Il soupira. Imaginons qu’un homme cruel et stupide me pose cette question. À lui, je répondrai : C’est la façon la plus sûre de vivre. À un grand homme, je répondrai : C’est la façon la plus enrichissante de vivre. À une personne égoïste et aveugle : Tu finiras par trouver un grand apaisement si tu penses aux pauvres, aux affamés, aux opprimés, si tu penses aux autres, si tu aimes, si tu apprends. Il haussa les épaules. Aux opprimés : Cela atténuera vos souffrances, vos terribles souffrances.

— Je vois, répondisse en souriant.

J’éprouvais un grand élan de plaisir.

— Ah, dit-il. Tu comprends enfin.

Je me remis à pleurer.

— N’existe-t-il pas un simple mot d’ordre ?

— Comme quoi ?

— Ce n’est pas toujours facile d’aimer et d’apprendre ; on peut commettre d’épouvantables erreurs, de terribles fautes, faire souffrir les autres. N’y a-t-il donc pas de mot d’ordre ? Par exemple… en hébreu, le mot Altashhleth : Ne détruis pas.

Je pouvais à peine parler. Les larmes m’étranglaient. Je commençai à répéter ce mot : Altashhleth.

Zurvan réfléchit, l’air solennel, puis il déclara :

— Non. Il n’existe pas de mot d’ordre. Nous ne pouvons pas chanter « Altashhteth » avant que le monde entier ne chante le même hymne.

— Arrivera-t-il un jour que le monde entier chante le même hymne ?

— Nul ne le sait. Aucun Mède ni aucun Hébreu, aucun Égyptien ni aucun Grec, ni aucun guerrier des contrées du Nord – nul ne le sait. Je t’ai révélé mon savoir. Le reste n’est que chants et simagrées, piétinements et plaisanteries. Maintenant, jure-moi de me servir, et je te promettrai de t’épargner la souffrance, autant que possible, aussi longtemps que je vivrai.

— Je te le jure, et je te remercie pour ta patience. Je crois que dans ma vie, une fois, j’ai été bon.

— Pourquoi pleures-tu ainsi ?

— Parce que je n’aime pas être en colère et haïr. Je veux apprendre, et je veux aimer.

— Bien. Tu aimeras et tu apprendras. Voici venir la nuit. Je suis vieux et fatigué. Je veux lire jusqu’à ce que mes yeux se ferment, comme j’en ai l’habitude. Dors dans les ossements jusqu’à mon appel. Ne réponds à aucun appel autre que le mien – on ne sait jamais ce que les démons ou les anges jaloux manigancent. Ne réponds qu’à ma voix. Et nous commencerons ensemble. Si tu es appelé, viens à moi, réveille-moi. Je ne m’inquiète pas vraiment pour toi… Avec ton pouvoir, tu pourras m’obtenir tout ce que je souhaite.

— Tout ce que lu souhaites ? Mais que souhaites-tu ? Je ne peux…

— Essentiellement des livres, mon fils, ne t’inquiète pas. Je n’ai pas l’usage des richesses autres que la beauté que tu vois autour de moi, et je suis suffisamment riche. Je désire des livres de toutes les contrées, qu’il faudra rapporter d’endroits lointains, des cavernes du Nord, des villes d’Égypte au sud. Tu en es capable. Je te révélerai tout et, à ma mort, tu seras assez fort pour résister aux maîtres qui ne mériteront pas ton pouvoir. Maintenant, entre dans les ossements.

— Je t’aime, maître, déclarai-je.

— Oh oui, répondit-il en agitant la main. Je t’aimerai aussi. Et un jour, tu devras me regarder mourir.

— Mais m’aimes-tu… je veux dire, en particulier… moi… m’aimes-tu ?

— Oui, jeune esprit en colère. Je t’aime, toi en particulier. Plus de questions, avant que je ne t’envoie dormir ?

— Quelle question pouvais-je poser ?

— La tablette cananéenne par laquelle tu as été formé. Pas une fois tu ne m’as demandé de te la déchiffrer, ou de te la confier, alors que manifestement tu sais lire.

— Je comprends de nombreuses langues, dis-je. Mais je ne veux pas la lire. Jamais.

— Je te comprends. Embrasse-moi, là, sur les lèvres, à la manière perse, ou sur les joues, à la manière grecque. Puis laisse-moi jusqu’à ce que je t’appelle.

La tiédeur de son corps me fit un grand bien. Je frottai mon front contre sa joue, puis, sans attendre de nouvelle injonction, je rentrai dans les ossements et dans l’obscurité. Je me sentais presque heureux.

Le sortilège de Babylone
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